L’archipel des mottes de terre: ode à une vie en campagne
Figurez-vous… je n’ai réalisé qu’à vingt-cinq ans que les îles du lac chez mes parents, lors de ma jeunesse, n’étaient que des mottes de terre laissées là par le camion qui avait creusé l’étang. Mais ce n’était qu’une des réalisations qui m’ont fait rire de ma propre insouciance lorsque j’étais jeune. Étant tous deux nés en région rurale, mes parents ont caressé le rêve de quitter la ville lorsque j’étais gamin. Voici une ode à ma vie en campagne, et un plaidoyer pour garder nos enfants près de la nature.
Un rêve réalisé
Mes parents voulaient se payer une terre en campagne, après avoir vendu leur maison de banlieue. Pour moi, l’accès réduit aux commerces de Moncton a été largement compensé par l’accès à des cèdres, un ruisseau, des marais, des érables et quelques grands pins dans la cour arrière. Ah, le temps où l’achat d’un lot n’était pas hors de prix!
Dans ces forêts, trois générations de minous m’ont accompagné partout. J’étais enfant unique, donc la compagnie était appréciée. Même si je recevais fréquement de minuscules cadavres en cadeau, ça m’a pris plusieurs années avant de réaliser que ces félins que j’aimais tant nettoyaient les bois du chant des oiseaux, mais ça c’est une histoire pour un autre tantôt.
Granola (Felis catus)
La maison comme tel fut un «fixer-upper», et pendant les rénos je m’en allais dans le lac aux îles à quelques centaines de mètres derrière. Tant de souvenirs!
Le lac aux multiples noms
Le lac mesurait une quarantaine de mètres et formait à peu près un rond.
Appelons le aussi l’étang aux castors, car il y avait des castors. Mais quand la plupart des lots du comté de Kent sont divisés en rangs de quelques acres d’épaisseur, ces mammifères à dents de scie peuvent rapidement créer un barrage qui inonde toute la largeur. Pas très populaire chez les humains, qui veulent avoir accès à la forêt derrière! Mais on aime les castors ici, donc on taira leur destin final.
Ce qui importe, ou qui importait à mes yeux, c’étaient les îles de l’étang. Pour moi, elles étaient un monde en soi. J’y avais placé des planches de bois scrap pour me rendre d’une île à l’autre. Voici une carte de ma propre mémoire qui montre ces îles circa 2006.
Les îles individuelles ont eu plusieurs noms au cours des années, mais l’île aux bouleaux (2) était de loin la plus cool. Les bouleaux blancs recouvraient cet îlot, et j’y avais clairsemé un cercle avec l’aide de mon père au milieu pour pouvoir y établir ma forteresse, jamais construite par contre.
On a même patiné quelques hivers sur le lac, et l’île d’à-côté (3) était un lieu où on pouvait s’asseoir pour une pause collation.
Les animaux que je connais
Je ne connaissais pas le nom des plantes à l’époque, mais j’aimais bien m’imaginer la vie des animaux du bois derrière chez-nous.
On a vu des orignaux dans notre cour. Des lièvres y faisaient fréquemment visite. Mes parents ont même entendu une sorte de lynx un soir. Et y avait-il des ours? Je pense que oui. Par contre, j’avais une peur bleue des chouettes la nuit.
J’ai toujours eu une fascination avec les animaux, les mammifères en particulier, mais aussi les insectes rampants, les grenouilles. Mais ma passion pour les oiseaux et les pollinisateurs est venue beaucoup plus tard.
Réflexions de vingtaine
Depuis, on a vendu la maison et retourné en ville. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que ces îles n’étaient que des mottes de terre laissées par l’engin de l’ancien propriétaire, qui a creusé l’étang. Dans ma vingtaine, on a revisité la maison et j’ai rapidement constaté que tout avait l’air beaucoup plus grand à l’époque que dans ma perspective d’homme d’aujourd’hui.
Mais je réalise aussi que ce qui me fascinait le plus, c’étaient les formes de vie qui constituaient la forêt dans laquelle j’ai grandi. Les castors, les poules chez nous, les cèdres de la cèdrière, les érables qu’on a parfois percé et fait couler au vilbrequin, ce sont tous des membres de mon imaginaire d’enfant qui a mené à qui je suis aujourd’hui.
N’hésitez pas à dire à votre enfant d’aller jouer dehors—tout en vérifiant chaque jour en cas de tiques. Peut-être que la plante que vous allez incorporer dans votre cour, si vous choisissez la bonne, attirera des insectes bénéfiques et des oiseaux que vous pourrez observer ensemble. Qui sait? Pour aider votre décision, les arbres essentiels pour la faune comme les bouleaux, les chênes, les saules, les érables indigènes, attirent le plus d’espèces d’insectes, de vraies machines à nature qui nourriront à leur tour les oiseaux dont les bébés ont besoin de chenilles pour grandir.
Ah, et pour nous autres amateurs de chats, quelques-uns de nos plus rares oiseaux nichent par terre, constituant de proies faciles pour les félins domestiques. Désolé, Granola, mais ta vie a été trop belle, au dépens des jeunes parulines. Je dirais que l’option numéro 1 aurait été la bonne vieille laisse s’il doit absolument aller dehors.
Paruline du Canada (Cardellina canadensis)
Photo : Denis Doucet
Cet oiseau, considéré comme vulnérable par le gouvernement canadien (Loi sur les espèces en péril), passe son hiver en Amérique du Sud mais monte au Canada pour se reproduire l’été. Sa saison de nidification est du début juin à la mi-août, et il fait son nid au sol ce qui le rend vulnérable à toutes sortes de prédateurs. Sa population au Canada a décliné d’environ 80 % depuis les années 1980.
Et si vous vivez en ville, faites un jardin de plantes indigènes et comestibles. Quelle belle façon de communier avec la nature que d’en créer une partie soi-même! Vos enfants vous en remercieront.