Pelouses écologiques : des questions à se poser en ce mois de mai

Violette commune / violette parente (Viola sororia)

Fleur indigène présente dans plusieurs pelouses au mois de mai. Plante-hôte du papillon Boloria.

«Pas de tondeuse en mai, c’est bon pour les abeilles parce que ça donne une source de pollen précoce aux pollinisateurs.» Depuis quelques années, on entend ici en Amérique du Nord ce discours qui tire son origine du Royaume-Uni. Il peut être vrai pour certaines régions de notre propre continent, mais même dans ce cas il faut être correctement outillé pour en parler de la bonne façon.

Mais n’ayez crainte! Vous pouvez commencer n’importe quand à aider nos pollinisateurs. En prenant le point de vue de la nature, posons-nous des questions sur cette pratique assez répandue aujourd’hui. Restez à l’écoute, plus de questions seront publiées ici au cours du mois de mai.

Note: Cet article est publié pour la forêt Acadienne-Wabanaki, à l’est de l’Amérique du Nord, du point de vue de la zone de rusticité 5 dans les provinces Maritimes. Lisez ci-dessous pour plus de détails. Faites preuve d’un esprit critique et consultez vos ressources locales pour déterminer quand est le meilleur temps de laisser votre gazon pousser!

En tant qu’activiste, ma mission est d’aider les abeilles, papillons, oiseaux et autres fascinantes créatures (croyez-le, même les mouches!) dans leur lourde tâche de soutenir la biosphère par la pollinisation. En d’autres mots, les bébittes (je préfère «insectes») travaillent fort pour que la bouffe puisse être sur notre table. À Moncton au Nouveau-Brunswick (Canada), j’ai fait la promotion de Mai sans tonte (Pas de tondeuse en mai) à la suite de recommandations d’organismes nationaux. Cela m’a mené à développer une réelle passion pour nos plantes indigènes et nos pollinisateurs, puis j’en suis sorti avec un sentiment de curiosité renouvelé.

Moi-même dans la cour de mes parents en 2021, propageant la bonne nouvelle.

Mais tout ça est plus complexe qu’un slogan. J’ai notamment découvert le fossé profond entre les experts et les gens du public. Mais comme le dit Douglas W. (Doug) Tallamy dans ses livres comme Nature’s Best Hope, chaque personne qui a une cour peut faire une différence. Dans ce contexte, pourquoi existe-t-il ce fossé quand tout le monde doit agir?

Comme toute chose complexe, il faut démêler les mauvaises herbes des bonnes, donc voici quelques questions qui, je l’espère, serviront de guide pour tirer parti de votre initiative dans le mois qui vient.

Toutes les semaines de mai, je vais continuer à répondre à des questions qui nous aiderons à élucider les mystères de la nature. Je ne propose pas une foire aux questions fréquemment posées, mais un point de départ pour poser les bonnes questions. Je ne vise qu’à apporter des éléments de réponse à ces questions, car chaque cour est différente!

Jardiner pour la faune est un acte citoyen. Au mois de mai et au-delà, votons pour une nature en santé en connaissant ce qui pousse dans notre pré!

Semaine 1

Q0: Qu’est-ce que les voisins vont dire? Et qu’est ce qui va arriver à ma tondeuse?

Bon, ces questions sont sur toutes les lèvres au départ. Si vous voulez absolument demander à vos voisins, ce n’est pas mon rôle de trancher, et vous les connaissez probablement plus que moi.

Pour répondre à ces deux questions en même temps, personne ne vous oblige! Si vous prenez le saut, personne ne regarde par-dessus votre épaule. Vous pouvez décider de tondre toutes les deux semaines, par exemple!

Q1: Quel impact ma région aura-t-elle sur qu’est-ce qui pousse dans ma pelouse?

En effet, il faut d’abord poser la question des régions. Nommons trois des types de régions pertinentes aux plantes et pourquoi nous devrions en tenir compte.

La région politique est celle que tout le monde connait. Elle a été construite par l’humain, mais tire sa pertinence à cause des lois, des frontières et des politiques qui restreignent le commerce des plantes à l’international. Les gouvernements municipaux peuvent donner lieu à des arrêtés pénalisant des gazons d’une certaine hauteur.

La zone de rusticité (connue par les jardiniers anglophones comme frost hardiness zone) n’est pas une région, mais une limite nord numérotée à laquelle les plantes sont rustiques. Cela signifie qu’au nord de ces zones, les plantes ne survivront probablement pas à l’hiver. Ce type de zone déterminera quand poussera votre pelouse. Par exemple, (je suis dans la zone 5) pour moi le mois de mai est le bon mois pour faire cette initiative. Dans certaines régions au sud de chez moi, c’est No Mow until Mother’s Day (Ne pas tondre jusqu’à la Fête des Mères) car à la fin mai, le gazon est considéré trop haut. Dans d’autres régions, on pourrait peut-être même parler de No Mow June. Pas aussi mémorable comme slogan, mais la nature ne parle pas anglais!

L’écorégion est une région naturelle définie par des frontières qui tiennent en compte l’écosystème et la géologie, les types de sols, etc.: par exemple, je me trouve dans l’écorégion « Basse-terres du golfe du Saint-Laurent » qui inclut le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse de la Péninsule acadienne jusqu’à Northumberland, en passant par Fredericton. L’écorégion est utilisée pour déterminer si une plante est indigène ou non à un endroit. Les différentes écorégions, selon ce qui pousse dans leur nature, auront également de différentes herbes qui s’arrachent une vie parmi les pelouses.

Bombyle pygmée (Bombylius pygmaeus)

Un bombyle, de la famille des mouches, sur un amélanchier. Les arbres indigènes sont la meilleure source de nourriture pour nos pollinisateurs en mai. Voilà pourquoi il faut en planter!


Semaine 2

Q2: Qu’est-ce qui se cache dans le sol où pousse ma pelouse?

Laisser pousser en mai aide aussi à découvrir la flore qui se cache dans votre cour. Un sol de pelouse contient non seulement les nutriments pour faire pousser le mélange de plantes qui compose un gazon, mais aussi une quantité énorme de graines de plantes, à la fois indigènes et exotiques. Votre gazon n’est probablement pas une monoculture à 100% pour cette raison, même s’il peut en avoir l’air. 

Si la terre a été amenée d’ailleurs, il se peut fort bien que votre gazon est composé non seulement de fétuque et de Kentucky Bluegrass, mais de toutes sortes de plantes qui ne viennent pas d’ici. Si, au contraire, vous avez directement planté votre gazon dans le sol d’origine, vous aurez probablement des espèces indigènes. La meilleure façon de le savoir est de laisser pousser un peu! 

Pour l’identification de toutes ces plantes, c’est maintenant au bout de vos doigts. Si ça vous intéresse, utilisez iNaturalist ou son application d’accompagnement, Seek, afin de trouver ce qui pousse dans votre pré sans tonte!

Q3: Quels pollinisateurs visitent ou vivent dans ma pelouse?

On n’aide pas les abeilles si on ne fait pousser que du gazon. Mais est-ce que les pissenlits aident davantage? Il y a tout un débat là-dessus, vu que c’est une plante exotique provenant de l’Europe. Cette plante aiderait surtout les abeilles à miel, qui viennent aussi d’outre-mer. Et pour nos pollinisateurs indigènes en mai, le débat penche en faveur des fleurs des plantes comme le saule, les érables rouges, et l’amélanchier.

Mais ce sont toutes des espèces d’arbres. Quel est le rapport avec Pas de tondeuse en mai alors? 

En fait, Pas de tondeuse en mai aide à promouvoir une cour naturalisée. Des pratiques pour garder son gazon moins «impeccable» et plus «ébourrifé» aide les abeilles fouisseuses, qui émergent en mai, et vivent trois à six semaines sous leur forme adulte. Eh oui, ces abeilles nichent sous la terre la plupart de l’année et elles composent plusieurs des 800+ espèces d’abeilles que l’on retrouve au Canada. Laisser des plaques de terre où rien ne pousse peut les aider aussi! 

Abeille fouisseuse (Andrena spp.)

Ces abeilles locales à l’Amérique du Nord se nourrissent de pollen. Les plantes indigènes, comme cette sanguinaire, ont évolué avec eux et ont des relations très développées avec ces insectes. On ne connait même pas tous les détails des interactions entre les plantes indigènes et les pollinisateurs, voilà pourquoi il faut continuer à les faire pousser!

Si vous recherchez “abeilles fouisseuses” sur Google, vous allez probablement trouver des façons de vous en débarrasser, malheureusement. Mais n’ayez crainte, les femelles de ces abeilles ne piquent que très rarement et de façon peu efficace en raison de leur petite taille; les mâles, pas du tout. 

Elles profiteront du mois de mai pour émerger de leur nid afin de se reproduire et de faire une toute nouvelle génération de pollinisateurs bénéfiques!


Semaine 3

Q4: À quoi servent les différentes sections de ma pelouse?

Pas de tondeuse en mai, c’est seulement une approche parmi plusieurs. Peut-être que votre cour, ou votre prairie, est remplie de chiendent (Elymus repens)? Ou de toute autre herbe ou plante indésirable? C’est très compréhensible, même en zone 5, de vouloir tondre au mois de mai certaines zones de votre cour. Comme je l’ai dit, personne ne regarde par-dessus votre épaule.

Thomas Rainer, auteur du livre Planting in a Post-Wild World, parle d’une nécessité de changer notre perspective quant à nos régimes de tonte, pour passer d’un gazon évoquant un “tapis mur-à-mur” (vous vous souvenez des planchers tapissés du dernier siècle?) à un gazon évoquant un “tapis de secteur” (area rug). Cela voudrait donc dire que Pas de tondeuse en mai pourrait aussi être Tondre en mai mais pas le reste de l’année pour d’autre sections, Tondre une fois l’automne pour certaines autres, ou même Tondre à toutes les deux semaines comme mentionné plus haut. La société Xerces a publié un excellent article à ce sujet ce mois-ci.

Il ne faut pas oublier que les différentes sections de notre pelouse servent à différents usages. Une aire de jeu, pour soulever l’exemple, est très propice au gazon tondu. Il y a aussi les aires où les réelles mauvaises herbes (les plantes envahissantes) doivent être contrôlées, ou même les aires où l’on se déplace fréquemment au travers. Le gazon fait un excellent sentier pour traverser votre pré!

Achillée millefeuille (Achillea millefolium)

Cette plante, indigène à l’Europe mais aussi à l’Amérique du Nord, est très reconnaissable par ses feuilles ressemblant presque à des micro-fougères. Plus tard dans l’été, elle produit des fleurs blanches en ombelles qui attirent plusieurs espèces de pollinisateurs dont des papillons et des abeilles.


Semaine 4

Q5: Quelles plantes dois-je encourager dans ma pelouse?

Les photos ci-dessus vous ont présenté à plusieurs espèces de plantes, qui peuvent sembler comme des « mauvaises herbes » mais qui sont en réalité indigènes.

Je vous présente donc l’humble fraise des champs.

Fraisier de virginie (Fragaria virginiana)

On connaît tous les fraises sauvages, mais peut-être pas leurs feuilles et leurs fleurs! Elles sont l’une des plus communes des plantes indigènes dans nos pelouses et se propagent par stolons (petites tiges qui s’enracinent plus loin).

Ce n’est pas tout. Parfois on peut faire de surprenantes découvertes! Allez dans la section « Ressources » pour des sites web externes destinés au public qui cherche à s’informer sur les plantes indigènes et les pollinisateurs.

Vous y trouverez aussi les définitions d’une plante indigène par rapport à une plante envahissante, et d’autres termes que l’on rencontre souvent, ce qui peut constituer un bon point de départ pour découvrir la nature dans votre cour.


Semaine 5

Q6: Que puis-je faire pour la suite des choses?

Fin mai, peut-être que vous avez déjà sorti votre tondeuse. De toute façon, les pissenlits sont peut-être déjà montés en graine chez-vous. Ou pas. De toute façon, les pissenlits ne sont pas au centre de ce débat.

Ce que je veux dire ici, c’est que “Pas de tondeuse en Mai” n’est pas assez pour aider la biodiversité. Si on veut aider certaines espèces à échapper l’extinction, il faut non seulement tondre moins souvent, mais surtout faire pousser des plantes pour les pollinisateurs et autres animaux. Ou si vous avez le temps, convertissez une partie de votre cour en jardin de plantes indigènes!

Asclépiade incarnate et monarque

L’asclépiade incarnate (Asclepias incarnata) et le papillon monarque (Danaus plexippus, menacé depuis 2022 selon l’UICN) sont deux compagnons de longue date. Ce papillon a besoin de cette plante hôte, puisque c’est la seule nourriture de sa chenille. Il faut planter ces plantes en masses, mais aussi laisser pousser des plantes fleurissant tard en saison, comme des verges d’or (Solidago spp.) et des asters (Symphyotrichum spp.) pour aider les population de monarques à se redresser.


Les pépinières viennent de commencer leur saison et c’est le temps d’y magasiner.

Voici quelques suggestions si vous trouvez des plantes en pépinière :

  1. Vérifiez pour des plantes envahissantes dans le sol de vos achats. Parfois, les pépinières sont un lieu de prolifération pour des plantes comme l’Alliaire officinale (herbe à ail / Garlic Mustard / Alliaria petiolata) qui peuvent rapidement créer de nouveaux problèmes. Si on veut absolument s’assurer de rien emmener de mauvais, on peut donc mettre nos plantes en «quarantaine» dans un pot et identifier ce qui pousse à ses pieds par la suite.

  2. Magasinez avec le nom scientifique car parfois, les pépinières ne mettent que le nom en une langue. GoBotany contient la plupart de nos plantes indigènes et est un superbe outil (en anglais par contre).

  3. Un résultat trop diversifié peut sembler chaotique aux yeux de plusieurs. Créez un design légible tiré de votre interprétation de la nature. Par exemple, dans la nature on peut trouver la même espèce en peuplements. Créez des communautés de plantes de la même espèce avec une génétique diversifiée, pour un résultat plus harmonieux. Jardinez en phases.

Claytonie de Caroline (Claytonia caroliniana)

Les sous-bois de Cape Split, parc provincial de la Nouvelle-Écosse, sont recouverts de cette belle éphémère ce temps-ci de l’année. Les trilles rouges, les fougères et les claytonies se retrouvent partout en tapis ici, illustrant bien le concept des communautés de plantes.


C’est tout pour les questions! Restez curieux et prenez votre temps. La nature est la meilleure guide. Continuez à suivre mon blogue et abonnez-vous ci-dessous.

Samuel LeGresley

Samuel est communicateur, motion designer depuis un jeune âge et activiste à ses heures. Il a grandi dans la Forêt acadienne en territoire non-cédé Mi’kmaq. Il a commencé à découvrir et identifier les plantes qui y poussent il y a quelques années. Il aime la musique, les livres et, bien sûr, les longues marches en forêt.

https://samlegresley.com
Précédent
Précédent

L’archipel des mottes de terre: ode à une vie en campagne