L’envahisseur du futur se cache-t-il dans nos jardins?
Le rosier multiflore, déjà bien présent dans nos paysages, et ses masses de fleurs caractéristiques. (Photo : Samuel Jean)
Je dis ça comme ça, peut-être que votre jardin agit comme piste d’atterrissage pour le prochain envahisseur du futur…
On pourrait surtout se poser comme question : «Est-il déjà en train de faire des ravages?» Je parle bien sûr des choix de plantes, comme à l’habitude, mais aussi des invités qui arrivent comme un cheveu sur la soupe (insectes et maladies).
Les espèces envahissantes asiatiques et européennes, par exemple, et souvent même celles de l’Ouest de l’Amérique du Nord, sont présentes ici depuis quelques siècles seulement, dans la forêt Wabanaki-Acadienne… Et c’est notre responsabilité en tant qu’humains de les avoir emmenées ici.
À l’occasion du lancement du guide bilingue «Cultivez-moi à la place / Grow Me Instead» du Conseil des espèces envahissantes du Nouveau-Brunswick et de celui de la Nouvelle-Écosse, on jase des raisons pour lesquelles on devrait garder à leur lieu d’origine la plupart des espèces d’ailleurs.
Étude de cas: « Le rosier multiflore pour des clôtures vivantes et pour l’habitat de la faune »
Le ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA) a publié ce dépliant en 1949 qui témoigne de l’engouement que suscitait le rosier multiflore à l’époque, une espèce hyper-envahissante.
Rosier multiflore (Rosa multiflora)
On a depuis trouvé que cette plante fait des dommages à grande échelle. Elles étouffent la flore locale, fournissent de la nourriture moins bonne pour la faune, et pour ceux qui la mangent, la dispersent partout.
Une seule plante peut donner un demi-million de graines en moyenne par année, et celles-ci demeurent viables dans le sol pour vingt ans, et sortent intactes des intestins des oiseaux pour mieux se répandre. (Source)
Photo : Samuel Jean
Pourquoi jardiner intelligemment?
Jardiner intelligemment, ce n’est certainement pas pour dire que celles/ceux qui jardinent avec des plantes envahissantes ne sont pas intelligent.e.s.
Au contraire; en fait, une grande proportion des plantes vendues dans beaucoup de nos pépinières, donc plusieurs recommandations faites par celles-ci, ne sont pas du tout indigènes. Il est donc difficile, même si on se dit «intelligent» (c’est relatif, bien sûr, rien n’est absolu) de connaitre quoi acheter.
C’est sous cette initiative, lancée pour certaines provinces dont le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, qu’a été publié un guide appelé « Cultivez-moi à la place » le 18 juillet.
Il peut être facile de tomber dans le panneau et de planter le prochain envahisseur. C’est pourquoi l’intelligence, selon moi, invoque la capacité de changer d’opinion, notamment sur ses choix de plantes. Faites-en une série de choix éclairés!
À l’arrivée d’une plante dans notre paysage, comme le démontre l’étude de cas plus haut sur le rosier multiflore, il est souvent impossible de déterminer qui la mangera ou qui la répandra.
En fait, comme l’indique le professeur Douglas W. Tallamy dans son ouvrage «Bringing Nature Home», vous aimez probablement plus certaines plantes exotiques pour une raison bien spécifique : elles sont souvent, malheureusement, magnifiques. Aussi, ces plantes ont probablement été sélectionnées pour la raison même de leur mauvais goût pour les insectes! La chimie des plantes est très différente si celles-ci viennent d’ailleurs et ne sont pas liées par ordre, famille ou genre à aucune plante locale. La raison est simple: l’entomologue explique dans son ouvrage que ces insectes n’ont pas les enzymes nécessaires pour digérer cette plante.
Par exemple, le papillon monarque a pris des millions d’années à developper une relation symbiotique avec sa plante-hôte, l’asclépiade.
Cette différente chimie qui rend les plantes inutiles aux insectes, donc aux oiseaux, est remarquable dans des plantes dont les membres de leur famille n’existent pas ici naturellement, comme le Troène commun.
Troène commun / “Privet” (Ligustrum vulgare)
D’apparence inoffensive, cette plante n’a pas de cousins ici. Les insectes ne peuvent donc pas manger cette plante, dont les fruits s’échappent dans les bois pour y remplacer la flore avec l’aide des oiseaux. Dans le guide « Cultivez-moi à la place », on y recommande deux substituts non-dommageables à l’écosystème: Le houx glabre (Ilex glabra) et le Cornouiller rugueux (Cornus rugosa).
En lisant le guide, vous pourrez constater une cinquantaine d’autres plantes comme celle-là qui causent des ravages dans nos écosystème.
Comme certains d’entre vous le savent maintenant, j’ai grandi dans les bois comme beaucoup de monde au Nouveau-Brunswick, et je constate en visitant plusieurs lieux (même dans les Maritimes) que la biodiversité indigène végétale est une chose précieuse et risque d’être remplacée par une canopée et un sous-bois de plantes envahissantes si on ne fait pas attention.
En lisant le guide, on lit que même nos plantes indigènes sont menacées par des insectes ravageurs. On pense à l’agrile du frêne, le puceron lanigère de la pruche (Hemlock Woolly Adelgid) et au champignon qui a tué nos précieux maronniers d’Amérique. Sans compter les autres qu’on n’a pas encore… Mais ça c’est une histoire pour un autre jour.
Je me réjouis que ce guide a été publié, et j’espère que vous jardinerez pas seulement intelligemment, mais aussi pour un meilleur avenir!